Le Mystère de la Grande Pyramide comparé

 

MARC JAUNE m’a envoyé ce long message. Je pense que son travail de comparaison entre deux versions du Mystère de la Grande Pyramide pourrait aussi vous intéresser. J’y ai introduit quelques réflexions, en espérant qu’un visiteur du blog pourra répondre aux questions soulevées. C’est sans doute une opportunité de lancer un débat sur le sujet.

Je profite de cette mise à jour pour signaler que le site marquejaune.com est de nouveau accessible, dans une nouvelle version.
 
Et voici le texte envoyé par MARC JAUNE :
 

HELLO VIVIANE !!!

  

ENFIN, voici le fameux message annoncé depuis plusieurs semaines. Prenez quelques minutes pour le lire car il est assez long.


Il s’agit, en fait, d’une grande comparaison entre la version du Mystère de la Grande pyramide Tome 2 éditions Blake et Mortimer (B&M) et la version, que j’ai acquise récemment, des éditions Blue Circle (1985) fidèle aux dessins et aux couleurs de l’édition originale. 

Il est bien évident que je n’ai jamais eu la chance de lire cette aventure dans l’édition originale du Lombard donc, pour moi, c’est une sorte de redécouverte avec l’avantage du grand format (planches 34.5 x 45 cm au lieu du traditionnel 23 x 30).


blakeetmortimercouv04eo.jpgNous allons donc commencer, comme il se doit, par la couverture.

Sur l’original, l’édition grand format pour moi, le titre de l’album ressort très bien car il est dans un bandeau blanc dont les bords imitent le parchemin. Le nom de l’auteur est dans un cartouche égyptien en fond rouge du plus bel effet.

Ces deux éléments sont remplacés, sur l’édition B&M, par l’inscription, en haut, « les aventures de Blake et Mortimer par Edgar P. Jacobs » et à gauche on voit le dessin des têtes de nos deux héros. Le titre, quant à lui, n’est plus qu’en simple surimpression sur le soleil. Le nom de l’épisode présent sur l’original a disparu pour laisser place à un  simple « Tome 2 ». Toutes ces modifications ne me paraissent pas très judicieuses et, personnellement, je préfère nettement la couverture originale.

Les crocodiles et la statue sont dans la pénombre donc beaucoup moins visibles, la plate-forme où se tient le Cheik est d’un bleu pétrole alors qu’elle était violette au début. Le jaune du soleil est moins étincelant et le mur du temple est presque uniforme alors que Jacobs avait pris soin de faire tomber des éclats de plâtre afin de montrer l’usure du temps et d’apporter une touche d’authenticité. Même l’écharpe et la coiffe du Cheik ont viré au blanc alors, qu’à l’origine, elles étaient jaunes donc plus en harmonie avec le soleil éclatant.

Par contre, un détail m’a interpellé sur le dessin original. En haut à droite, au dessus du bandeau, Jacobs a dessiné le détail d’une autre statue qui surplombait la première. Elle a, évidemment, disparu sur la dernière couverture.

Et une question pour en finir : Que représente le cartouche situé en bas à gauche ? S’agit-il du nom d’Horus ou bien du propre nom de Jacobs en hiéroglyphes ?


Scan Mortimer - Copie.jpgAprès ce long préambule, nous allons attaquer le cœur de cette palpitante aventure, l’une de mes favorites. Il nous faut, d’abord, parler de la planche de garde. Dans l’édition originale il y a juste un résumé du tome 1 écrit en petits caractères, mais néanmoins agréable à lire. Dans l’édition B&M le résumé est retranscrit en majuscules avec un style de police qui est plus agressif pour l’œil du lecteur. Et, il y a un dessin supplémentaire. D’où provient-il ? D’une planche publiée dans Tintin ? Ou bien s’agit-il d’une commande réalisée spécialement pour la parution en album ?


171951page20.jpgA présent passons, si vous le voulez bien Viviane (NDLR : et vous, chers visiteurs), à la première planche page 3, et l’on constate immédiatement que les caractères d’impression sont différents entre les deux éditions. En effet, dans l’original, le texte semble ne pas être toujours de la même qualité, certains mots sont plus gras ou plus petits. De même, il y a des exclamations  en majuscules, ex. case 5 page 7, qui ne seront reproduites, ultérieurement, qu’en minuscules.

Et puis tous les textes sont sur fond blanc dans l’original alors, que dans l’édition B&M, il y a une différenciation avec un fond bleu ou jaune pour les « récitatifs ». C’est un bon choix, pour une fois, mais le ton jaune est un peu trop soutenu.

D’une manière générale, le trait est un peu plus gras et moins précis dans l’original, cela est certainement dû à des techniques d’impression moins précises qu’aujourd’hui. Mais grâce au maxi format des planches j’ai pu beaucoup mieux apprécier et, pratiquement découvrir, la prononciation allemande du Doktor Grossgrabenstein. En effet, avec l’écriture plus fine et plus serrée de l’édition B&M, un lecteur un peu rapide ne fait plus attention aux fautes de français car son cerveau corrige automatiquement ses erreurs. (Authentique, article paru dans Sciences et vie).


Maintenant, nous allons aborder le problème de la colorisation des planches de l’édition B&M. Là, il y a vraiment beaucoup de différences avec l’original voulu par Jacobs. J’aimerais bien connaitre la motivation et le but de certains choix faits par les coloristes afin de modifier à ce point l’édition de base. Qu’on en juge :

Dès la toute première case, la voiture conduite par Mortimer devient orange alors qu’elle était de couleur vert cacatois. Par la même occasion, la veste du professeur passe de brun à  gris. On constate que la tonalité ocre-brun, voulue par Jacobs, pour les extérieurs, disparait totalement avec le patchwork de couleurs de l’édition B&M. Les marches de la maison, page 3, case 5, sont même devenues jaunes !!

Voici plusieurs détails à relever concernant les visages. Les personnages, seulement les blancs évidemment, ont des joues roses. C’était un code, en usage dans la BD, pour montrer leur bonne santé. Ce procédé a été repris par Ted Benoit dans l’Affaire Francis Blake. Mais il disparait dans l’édition B&M.

De même, les visages originaux ne changeaient jamais de couleur quelque soit leur environnement (nuit, éclairages, etc…) Là aussi, dans la dernière édition ce n’est plus le cas.

Certains personnages comme le commissaire Kamal, Abdul Razek et même Abbas ont le visage beaucoup plus foncé dans les dessins originaux. Quant à Nasir, il ne semble pas avoir évolué. Où est donc la logique dans tout cela ?

Un petit aparté pour remarquer une mauvaise direction de flèche de phylactères en case 7, page 3. La case est restée inchangée dans l’édition B&M mais une erreur plus visible a été modifiée, en case 12 page 4, le « non d’une pipe » est, logiquement, redevenu le « nom d’une pipe ». Par contre, en case 1 page 5, l’écriture arabe a évolué d’une forme traditionnelle à une forme cursive un peu moins graphique.

Mais revenons à la colorisations des planches. En page 4, les murs du sous-sol de la villa, d’une belle couleur violette, deviennent d’un gris bien fade. Dans la même veine, il faut noter, en page 6, que le ciel est bleu foncé et se change, encore, en gris.

Page 9 : le sol égyptien est brun chez Jacobs et jaune (B&M). En page 13, encore plus fort, le ciel nocturne perd ses étoiles et les murs verdâtres du mastaba se transforment en bleus.


Continuons cet inventaire à la page 18, case 7, il a été rajouté un « CLIC », absolument pas nécessaire car Mortimer dit, case suivante : « Zut, enrayé ». Page 21, la veste de Jack a changé de couleur de marron à… vert et la chemise de Sharkey est passée du gris au … vert !! Histoire de mode, peut être ?


Chocolat Banania.jpgSur cette page 27, le bleu originel des murs de la villa est de toute beauté. Pourquoi, diantre, les repeindre en un gris bien fade. Juste un petit détail amusant, toujours dans cette planche en case 9, le policier en arrière-plan, vraisemblablement de type nubien, est le sosie du personnage dessiné sur les paquets de chocolat en poudre Banania. Etonnant, non !!

 

VQ : Il est vrai qu’Edgar P. Jacobs m’avait parlé du bonhomme souriant dessiné sur l’emballage du chocolat en poudre. J’avais oublié ce petit détail, sans doute parce que je n’étais pas grand amateur du produit que j’ai bien sûr consommé, comme beaucoup d’autres enfants…


MARC JAUNE :

A partir de la page 33, les murs des souterrains d’un rose pâle, du plus bel effet chez Jacobs, vont apparaîtrent en un orange plus tape à l’œil et, finalement moins esthétique.

Page 35, case 12 : les ombres délicatement dessinées sur le côté du visage de nos deux héros ont, une fois de plus, disparu dans l’édition B&M. De même que les deux « BOUM »

case 3 de la page 44.

Juste une remarque sur la case 1 page 42 : le canon de la mitraillette en gros plan me rappelle une scène un peu similaire d’un film d’Hitchcock, « la maison du Dr Edwards » de 1945, où l’on voit un révolver en gros plan menaçant I. Bergman. (à rapprocher également de la case 10 page 41).

En page 49, il faut noter que, là aussi, les égyptiens de l’antiquité ont la peau plus foncée que dans l’édition B&M. Page 52, case 5 le discours de l’initié est écrit avec certains mots en majuscules et d’autres soulignés. Bien sûr, cela sera uniformisé par la suite.

La fameuse bague donnée à Mortimer présente des gravures différentes entre la case 4 page 53 et la case 3 page 56. Erreur de continuité qui a échappé à tout le monde puisque les dessins n’ont pas été modifié depuis.

Je crois que j’aurais pu signaler, encore, d’autres différences entre ces deux éditions.

Il me semble que toutes ces modifications, au niveau de la couleur, n’améliore en rien la lisibilité du dessin et dénature les recherches qu’avait fait Jacobs à l’époque de la création de l’histoire. Qu’en pensez-vous ?

Peut être avez-vous, également, des informations en votre possession dont je n’ai pas connaissance et qui, pourraient expliquer ces choix en matière de recoloriage ?

 

VQ : J’ai effectivement été mise au courant d’explications de choix en matière de recoloriage. Sans doute n’y ai-je pas attaché beaucoup d’importance, en comparaison à d’autres explications reprises dans mon ouvrage. Edgar P. Jacobs n’avait jamais été satisfait des coloriages, déjà lors de la toute première impression. Hergé nous l’a d’ailleurs bien raconté dans sa préface pour La Guerre des Mondes.


MARC JAUNE : J’espère que ce message ne vous a pas paru trop long. En tout cas, je ne regrette vraiment pas l’achat, onéreux, de cet album en grand format car il m’a permis de redécouvrir une aventure que je pensais connaître par cœur.

Et, finalement, c’est peut être ça la magie d’Edgar P. Jacobs. By Jove !!!

  

MARC JAUNE

Une réflexion sur “Le Mystère de la Grande Pyramide comparé”

  1. Combien Marc Jaune a-t-il raison de s’étonner de ces différences de colorisation entre les albums des Editions du Lombard et ceux parus depuis chez Blake & Mortimer !
    Certes, peut être bien que Edgar-Pierre Jacobs n’était pas satisfait des rendus de ses planches par son éditeur originel, mais qu’en aurait-il été s’il avait eu connaissance de ces nouvelles couleurs – et des nouveaux lettrages – décidés par Blake & Mortimer Editions ?
    Pour ma part, je regrette ces couleurs, mais plus encore les nouveaux lettrages qui, non seulement n’apportent pas de confort de lecture, mais dénaturent l’oeuvre d’un auteur dont les dessins et les phylactères, forment un tout.
    Merci Viviane de nous avoir fait partager cette intéressante analyse de Marc Jaune.

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